J'ai fait un rêve. Que dis-je : I had a dream today.

I had a dream today that one day, people sleeping in stilettos and people dancing in charentaises, people messing around in baskets and people running in flip flops, people obsessed with heels and people disgusted by thigh boots, people born in santiags and people dying in clogs would live together, celebrating their holly feet.

This is our hope

Let freedom ring from Louboutin to Berluti. We are free at last to walk.

mardi 27 avril 2010

Est-ce que c'est grave d'être calcéophile ? Et surtout, quel rapport avec la chaussure ?

Mais qu'est-ce que c'est que ce mot barbare, inventé pour les toqués de la pompe ?
Rien d'autre que la désignation faussement savante (quoique d'origine latine, quand on sait, comme je l'ignorais il y a dix minutes encore, que calceolus signifie petit soulier en latin) d'un obsédé de la chaussure.

Oui, profitons de cet espace de liberté que nous offre la démocratie française pour nous arrêter deux petites secondes sur cette incongruité fascinante : l'obsession de la grole.

J'ai lu quelque part que le calcéophile ne pouvait être un amoureux que de la belle chaussure. Je m'érige en mur de Berlin. Hum. Non. Pardon. Je m'érige en faux.
Note 1 : la contrefaçon est sévèrement punie par la loi.

Comme si l'homme qui aime les femmes, le vrai, n'aimait qu'une seule femme (osons tout : éventuellement la sienne).
Que nenni.
Le calcéophile aime toutes les chaussures. 
Il tremble à la vue d'une sandale à la bride légère tout autant qu'il s'émeut devant la maladroite facture d'un sabot suédois en faux python (cf note 1 pour rappel). 
Il est pareil à ce cinéphile compulsif qui, fort de cent trois visionnages de Blade Runner s'efforce de capter la dimension mystique de la Naissance d'une nation tout simplement parce que l'histoire du 7ème art compte Griffiths à son Panthéon. 
Note 2 : à ne pas confondre avec Parthénon, qui est situé à un autre endroit.

J'irai plus loin, le calcéophile est pareil à une pellicule photosensible, captant la grâce lumineuse de chaque ornement ad pedibus, de la prothèse vernie à la poulaine médiévale.
Bon sang, on vient de vous le dire, c'est un maboul. Et comme tous les mabouls, il est asservi à l'adulation complète de l'objet.
Espèce ultime du fétichisme.

Mettons la barre haute et leur race à tous ces petits joueurs en sandalettes. La calcéophilie est une science audacieuse, absolue, qui dépasse de loin la frénésie compulsive des 3000m2 faussement mythiques du Lafayette chaussures. Il ne suffit pas d'accumuler autant de paires de Manolo Blahnik qu'il y a d'applications iphone pour mériter sa carte de membre (oui, le pied est un membre platinium). 
Nan.
Trop facile.
Manquerait plus que ça.

Il faut exsuder l'amour de la chaussure.

Au nom de l'anthropologie moderne et à la mémoire de Claude, j'ai tenté de déterminer 5 premiers critères qui permettent de séparer le bon grain de l'ivraie (pour les débiles : de reconnaître  le calcéophile, le vrai, le grand, du petit con qui range ses baskets dans son placard Ikéa sans leur dire bonne nuit).

Je tiens à préciser qu'il ne s'agit ici que d'une première tentative, un postulat amené à être reconsidéré, comme toute approche scientifique qui se respecte. Néanmoins, dans le cadre d'une procédure sécuritaire : mes propos sont déposés sous enveloppe soleau. Ca c'est fait.


Considérons ces 5 critères :

1 - Le calcéophile est un animiste de la chaussure. Elle vit, donc il lui parle. Elle sent (la chaussure, oui, bon) donc il la ménage. Elle rêve, donc il met tout en oeuvre pour la rendre heureuse. Entre elle et lui il existe un échange au delà de toute expression : ils prennent soin l'un de l'autre et se comprennent. Bien plus que cela : ils s'enfilent.
2 -Le calcéophile partage sa vie avec sa chaussure, il l'emmène en vacances, au boulot, chez ses parents, en boîte de nuit, partout. Où qu'il aille, elle est là. Au pied du lit, sur le canapé, dans sa chambre d'hôpital, au bord de la piscine. Autant le calcéophile peut partir acheter des cigarettes un matin et ne plus jamais revenir, autant il laisse tout derrière lui, y compris la médaille de son baptême et sa collection de vignettes Panini, autant il ne laisse jamais sa chaussure derrière lui. Jamais.
Si votre petit ami est calcéophile et qu'il part un matin sans ses chaussures, gardez ses mocassins sous le coude : il reviendra. 
3 - Le calcéophile est soucieux de la continuation de l'espèce. Pas de la sienne, car elle est insignifiante, mais de ses petites protégées. Il s'assure avec une implication dévote que le monde de demain soit plus habité de chaussures qu'il ne l'était hier. Pour ce faire, il est même prêt à se reproduire lui-même, afin que ses enfants prennent le relais de la mission dont il est investi. Le calcéophile, par exemple, achète des chaussures à son rejeton qui n'a pas encore mis un pied devant l'autre. Ainsi, il donne la vie à des bébés chaussures.
4 - Le calcéophile n'aime pas les chiens, qui est un ennemi de la chaussure et parfois la mange. Pour éviter le cannibalisme, et s'il est obligé de supporter la présence d'un chien (qui en revanche protège bien les placards), il le muselle.  
5 - enfin, le calcéophile n'est historiquement inquiet que de la survie de la chaussure. C'est la raison pour laquelle il se cogne de savoir qui a tué Martin Luther King en vrai, ce qui lui importe, c'est que ces hérétiques de papous finissent par réintégrer la civilisation en portant des mules, comme tout le monde.

Ces cinq points me semblent essentiels pour comprendre le calcéophile et le définissent assez bien.
En toute modestie, je reconnais que cette approche n'est pas forcément exhaustive. Elle devra être complétée plus tard, par moi ou par d'autres scientifiques à travers les siècles. 
Un jour un prix Nobel sera créé pour célébrer la recherche dans ce domaine, et  probablement un prix Pulitzer aussi.

En attendant, rendons grâce à la chaussure et à ses amoureux. Chaque fois que nous glissons notre petit peton dans cette gangue de cuir, que nos coussinets reposent avec mollesse sur leur lit de crêpe, que nous lions ensemble ces fils (pour les débiles : les lacets) qui enserrent nos extrémités les plus précieuses, nous touchons du doigt le miracle mystique du contenant et du contenu. Nous reproduisons à notre échelle le mystère de l'univers, la force brute de la pénétration et de la symbiose, la merveilleuse transcendance de la forme qui transforme.

Yeah.






lundi 26 avril 2010

A quoi ça sert de fabriquer des chaussures ?

"Ces jours-ci, je passe le plus clair de mon temps à fabriquer des sandales. J'en ai confectionné une quinzaine de paires jusqu'à maintenant. Si vous en voulez une paire, envoyez-moi s'il vous plaît les mesures. Indiquez-moi en même temps l'endroit où vous souhaitez que les lanières soient fixées - autrement dit, à l'extérieur du gros orteil et du petit orteil".

Jusqu'à aujourd'hui, et pas plus tard qu'il y a cinq minutes, l'art séculaire et mirifique de la chaussure était pour moi tout entier porté par la semelle rouge de Louboutin et la grâce quasi artisanale de Sergio Rossi.
Pauvre profane que j'étais...


Jusqu'à aujourd'hui, et pas plus tard qu'il y a six minutes maintenant, il y avait une frontière infranchissable entre le culte voué au talon de 12cm qui légitime ma vie de femme et les questions métaphysiques que se posent les grands hommes.
L'un (l'idolâtrie de la chausse) ne pouvait décemment côtoyer l'autre (la noblesse de l'âme). Comme disent si bien les anglais dans cette circonstance : "Hubert Reeves definitely can not live in the same cottage than Britney Spears". Jusqu'à aujourd'hui, dans mon esprit, il fallait impérativement choisir entre la stupide adoration d'un escarpin et un cerveau. 


Du coup, j'acceptais  avec désarroi mais fatalisme ma superficialité, je m'absolvais - toute seule comme une grande - de mon manque de civisme. Je faisais fi de ma démission absolue des engagements humanitaires (tout ça n'était pas très Joli Joli), de mes devoirs politiques ou sociaux. Je m'excusais sans vergogne de tous mes manquements en me trémoussant de plaisir devant une paire de Prada. J'étais une effroyable pétasse, une fille de peu de vertu. Disons le tout net : une radasse.

Bref, je kiffais les pompes, et me mortifiais dans le même temps en me répétant que cette dévotion me détournait jour après jour de tout espoir de canonisation. Qu'à cause de cela, c'en était fini de mes rêves de grandeur morale, et que je pouvais m'asseoir sur l'idée d'être un jour à la section noms propres du petit Robert. Je ne serais ni mère Thérésa ni Marie Curie, deux immenses femmes connues pour n'en avoir rien à cirer des groles.
Des saintes.

Or taratata. Tout ça, c'était avant.
Tout ça, c'était sans compter sans la découverte soudaine, inattendue, libératrice de ce petit bout de lettre que je vous redis ici : "Ces jours-ci, je passe le plus clair de mon temps à fabriquer des sandales".
Whaou.
Ca claque.
Ca claque parce que, non, ce ne sont pas les mots d'un obscur fabricant de tatanes du milwaukee, ni un extrait des mémoires tropéziennes de Rondini.
 Chers amis, c'est au-delà de mes espérances : il s'agit d'une lettre de Mohandas Karamchand Gandhi.
Le petit bout de bonhomme avec les lunettes à la con de John Lennon qui bouta l'anglais hors de son périmètre, le père de la désobéissance, prenant des baffes comme on gobe des m&m's : avec persévérance. Himself.





Et voilà que j'apprends aujourd'hui que, lorsque le colonialisme débilitant le balance à fond de cale, espérant briser un homme qui ne sait que plier et faire plier, pour toute réponse, le Mahatma fabrique des sandales.
Oh le saint homme.
Saint. Doublement saint.
Car le voilà qui tout d'un coup me donne à comprendre qu'il n'y a pas d'occupation qui ne soit pas louable quand elle emporte le coeur avec elle.
Car depuis cinq minutes, à chaque fois que mes yeux se poseront sur une chaussure pour en admirer la courbe, la finesse, la promesse, je pourrais le coeur léger me dire que Gandhi aurait pu la faire (avec un petit stage technique par ci par là), qu'il aurait pu y apporter tout le soin et l'attention de son génie, et que ça ne l'aurait pas empêché d'être un des plus grands des hommes.
Voire même, si ça se trouve, ça y aurait été pour quelque chose.

Il n'y a pas de sot métier, il n'y a pas de sotte passion. Tout ce qui dans le monde ouvre notre coeur à la contemplation, au bonheur, et au respect de ce que la forme éternelle génère chaque jour pour honorer la vie, tout cela est bon.

En somme, j'ai compris aujourd'hui que fabriquer des chaussures sert, entre autres choses utiles, à soulager la conscience des radasses qui ne sauront jamais libérer tout un peuple de l'impérialisme colonialiste anglais.


* Lettre envoyée par gandhi en 1913 à Jan Christian Smuts, procureur et, plus tard, premier ministre d'Afrique du Sud.
J'ai fait un rêve aujourd'hui. Je veux dire : I had a dream today. 
I had a dream today that one day, people sleeping in stilettos and people dancing in charentaises, people messing around in baskets and people speeding up in flip flops, people obsessed with heels and people disgusted by thigh boots, people born in santiags and people died in clogs would live together, celebrating their holly feet. This is our hope.
Let freedom ring from Louboutin to Berluti. 

We are free at last to walk.